Le Jour où j’ai côtoyé les Dieux.
Elle se mérite, cette île du bout du monde… Partie de Paris via Los Angeles puis Papeete, me voici aux Marquises après pas mal d’heures de vol. Quelques quatorze derniers kilomètres de route plus tard depuis l’aérodrome, et me voilà enfin arrivée à Taiohae, la capitale de Nuku Hiva! Ce qui frappe d’abord, c’est la mysticité de l’endroit. Nuku Hiva est une île volcanique, parsemée de pics de basalte impressionnants et ses baies sont à couper le souffle. Dès mon arrivée sous un ciel chargé, je ressens comme des ondes puissantes, une sorte d’énergie sauvage qui m’enrobe et me couve, mais pas forcément avec bienveillance… Ce doit être le fameux mana* polynésien, ce pouvoir sacré – voire surnaturel – à mi-chemin entre magie et religion, inconnu des occidentaux. Les habitants eux-aussi semblent rugueux, comme hostiles, écorchés vifs tel le relief qui les entourent, se confondant ainsi avec leurs paysages dramatiques et sublimes.
Comme pour mieux m’imprégner de ce décor surréaliste, je décide de partir à la découverte de la cascade de Vaipo, haute de 350 mètres et fierté de l’île. Je rejoins d’abord le début du sentier en bateau puis me retrouve enveloppée d’un environnement verdoyant, moite et odorant. La promenade m’emmène au travers d’antiques vestiges d’un site royal marquisien et longe ensuite des falaises abruptes, où j’aperçois avec admiration des grottes funéraires d’un temps ancien… Je n’ai jamais rien vu de tel lors de mes précédents voyages: sublime. Au retour, la baie d’Hakatea et sa magnifique plage de sable blanc s’offrent à moi, comme une récompense après l’effort. Le paradis, réel décor de carte postale. Malheureusement celle-ci est infestée de nonos* et je dois écourter ma présence pour ne pas avoir à souffrir de leurs piqûres réputées fort désagréables!

D’Hawaii à l’île de Pâques en passant par la Nouvelle-Calédonie ou les Tuamotu, ils sont tous là, prêts à offrir un spectacle symbole de leur vitalité culturelle.
Ce qui m’amène vraiment dans ces contrées si lointaines, c’est le Festival des Arts Marquisiens. Une fête qui a lieu tous les quatre ans et qui réunit des délégations venues de tout le « triangle maori ». J’ai rêvé de ce rendez-vous pendant des mois et j’ai maintenant hâte de me mêler aux milliers de spectateurs annoncés et de jouir du spectacle offert par les centaines d’insulaires invités. Je suis impatiente de découvrir leurs patrimoines riches et variés pendant les prochains jours, d’admirer leurs danses et leurs chants mais aussi leurs démonstrations de sculpture, de tissage ou encore de tatouage à main levée. Ce dans un décor majestueux. D’Hawaii à l’île de Pâques en passant par la Nouvelle-Calédonie ou les Tuamotu, ils sont tous là, prêts à offrir un spectacle régi par des règles précises et conformes aux yeux de leurs Dieux. Mais surtout symbole de leur vitalité culturelle!




Les vibrations des Pahu – tambours traditionnels – donnent la cadence et font trembler le sol et les corps. Immédiatement, l’auditoire est transporté vers le sacré, comme s’ils nous transmettaient des messages allégoriques en se faisant l’écho de nos battements de coeurs respectifs. Proche de la transe, le regard littéralement absorbé par les costumes, les maquillages et les danses, je contemple les groupes qui se succèdent pendant des heures. Les femmes, très impressionnantes, sont d’une grâce inouïe et se déhanchent à un rythme frénétique, difficilement discernable à l’oeil nu. Les hommes, puissants, assènent leurs hakas en les accompagnant de gestes virils et précis. Les traits intensément déformés de leurs visages les rendent presqu’invulnérables. L’émulation ressentie à la convocation de ces esprits m’éprouve, alors que leur présence ne semble même pas se matérialiser. Je reste immobile, subjuguée, fascinée, jusqu’à la nuit tombée…


Les mélanges de couleurs, les cris gutturaux, les gestes ancestraux et les musiques puissantes me transcendent (…)
Les jours suivants, je rallie d’abord le petit village de Taipivai à la plage de sable noir. On y débarque en bateau au petit matin, accueillis par le son enchanteur des trompes de coquillages. La ferveur du public est toujours là, fasciné par ces gestuelles qui selon les Marquisiens, ont été volées aux Dieux eux-mêmes. Des enfants en nombre se mêlent aux danses et sautent ensuite dans la rivière voisine pour se rafraîchir après l’effort. Quand arrive l’heure de se sustenter, sept fours creusés dans le sol la veille révèlent d’immenses paniers enterrés, d’où s’échappent des odeurs appétissantes de moutons et cochons sauvages, poissons, bananes et autres tarots. Un régal. Je découvre ensuite Hatiheu, un village archéologique perdu dans la jungle compacte du centre de l’île. Un site magique dans un état de conservation impeccable, comptant de nombreux pétroglyphes mais surtout des banians majestueux et oniriques. Les mélanges de couleurs, les cris gutturaux, les gestes ancestraux et les musiques puissantes me transcendent toujours autant. J’observe, transportée, la confection de tapas (vêtements faits d’écorce de banian) et la réalisation des tatouages traditionnels tahitiens. Quelle souffrance! J’admire chaque détail du spectacle qui m’entoure et profite de ces derniers moments hors du temps. L’écho de tant d’envoûtement maori résonne en moi, malgré le sentiment de frustration d’un manque de communion et de partage avec toutes ces délégations venues de si loin… Si proches et pourtant inaccessibles.






Il est bientôt temps de partir de cet univers que je ressens trop hermétique. Si j’ai aimé visuellement ce Festival, les Dieux ne semblent pas avoir répondu favorablement à mes velléités de rencontre! J’aspire à présent à une terre profondément plus calme et hospitalière. A plus de tranquillité spirituelle que Niku Hiva n’a pu offrir jusqu’à présent. Je rejoins donc la retraite marquisienne qu’ont choisie Paul Gauguin et Jacques Brel pour finir leur vie: l’île d’Hiva Oa. Et dès l’atterrissage la sensation est tout autre : luxuriance et douceur du décor, population prévenante et bienveillante, accueil affable… Je suis rapidement conquise par l’endroit. J’opte cette fois pour une pension de famille (hébergement typique et répandu dans toute la Polynésie) plutôt qu’un hôtel impersonnel, et tombe rapidement sous le charme du charisme et de l’humour du chef de famille: Alex! Ancien légionnaire ayant lui aussi décidé de finir ses jours au paradis, il aime non seulement faire découvrir les recoins les plus inaccessibles à ses clients – il n’y a qu’une seule route sur l’île, dont la moitié difficilement praticable pour les novices -, mais surtout transmettre ses anecdotes sur la vie locale à quiconque veut bien les écouter!
Quelques vieux chevaux blancs
Qui fredonnent Gauguin
Et par manque de brise
Le temps s’immobilise
Aux MarquisesJacques Brel
Il y a beaucoup à voir et à apprendre de cette île. On y admire des marae* aux énergies irréelles, des tikis impressionnants qui forcent le respect et un héritage culturel global singulier. Ainsi, je m’arrête avec grand intérêt à la « maison du jouir » bâtie par Paul Gauguin, ce coquin. Quelle surprise d’y découvrir la – trop grande – proximité de l’artiste et de ses modèles qui attirerait à quiconque aujourd’hui les foudres des vahinés… Je me promène pourtant volontiers sur sa tombe garnie de pierres massives et qui jouxte celle d’une idole plus modeste : Jacques Brel. Lui aussi a succombé au charme immaculé de l’endroit : « veux-tu que je te dise / gémir n’est pas de mise /aux Marquises ». Pilote taxi pour les habitants de l’archipel à l’époque, je découvre son bimoteur baptisé Jojo et aperçois la maison d’Atuona où il réside avant que la maladie ne l’emporte quelques années plus tard… Je m’imagine aisément combien les fleurs et leurs odeurs, les paysages réconfortants et les plages avoisinantes de l’île de Tahuata ont dû l’envoûter et l’apaiser. Il règne ici une douceur de vivre que je n’ai retrouvé nulle part ailleurs. Ici, je me sens à ma place. Le tiaré, le frangipanier, l’hibiscus réchauffent l’âme et le corps de leurs parfums veloutés dans un cadre exceptionnel, presque vierge et inexploré.
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*Mana: pour les Polynésiens, le mana était comme un fluide électrique qui pouvait changer personnes et choses et se transmettre de l’un à l’autre. Force supérieure répandue dans la nature, habitant certains êtres et certaines choses auxquels elle confère le pouvoir de dominer les autres par leur grande puissance physique, leurs dons quasi surnaturels tenant à la fois du sacré et de la magie et pouvant être transmis à un autre membre du clan (source CNRTL).
*Nonos: minuscules moucherons agressifs qui provoquent de fortes piqûres démangeaisantes, un cauchemar polynésien!
*Marae: lieu sacré où se déroulait les anciens cultes polynésiens.
INFOS PRATIQUES
Il y a deux façons de se rendre aux îles Marquises: en bateau ou en avion!
* la plus célèbre des croisières s’effectue sur un cargo mixte, l’Aranui, mais doit se réserver des mois, voire des années à l’avance: http://www.aranui-croisiere.fr & https://aranui.com. Comptez plus de 3000€ pour une semaine en fonction des îles visitées.
Le bateau de croisière de luxe Paul Gauguin propose également un itinéraire à partir de 8000€ par ici.
* en avion Air Tahiti propose des pass depuis Papeete à partir de 750€: https://www.airtahiti.fr/tarifs-pass?id=29
OU DORMIR
En plein Festival des Arts Marquisiens, les photographes et journalistes étaient logés dans l’hôtel de luxe de l’île de Nuku Hiva, aux prestations très agréables. En saison basse, les prix sont négociables: Pearl Lodge.
Essayez également les pensions chez l’habitant, nombreuses sur l’île et moins onéreuses. Une liste non-exhaustive est généralement disponible à l’office de tourisme de Tahiti.
Sur Hiva Oa, faîtes intégralement partie de la famille de Pierre-Alexandre Kayser et visitez son bar avec vue imprenable sur l’Océan Pacifique! C’est l’assurance d’un séjour véritablement authentique.
pension.hivaoa@yahoo.fr – Trip Advisor : Autour de 90€ par personne par jour en demi-pension; 30% d’arrhes à verser avant l’arrivée.
Tentez enfin les plongées aux Marquises qui sont apparemment uniques au monde!