Le Jour où j’ai remonté le temps.
Le ronronnement du MV Kalangala me berce. Assise au fond du bateau, je contemple par le hublot arrière les îles qui s’approchent. En traversant cet immense lac mythique, le plus grand d’Afrique, j’ai comme l’impression d’un voyage vers le passé. Perdue dans mes pensées, j’imagine les sensations des premiers explorateurs à atteindre ces horizons et à fouler ces terres de contraste, la découverte de cet endroit comme nul autre, à la verdure indécente et à la terre couleur latérite. Combien d’entre nous ont déjà effectué ce voyage? Quel aventurier a déjà traversé ces eaux et contemplé ces 1200 km de rivages? John Hanning Speke* a-t-il lui aussi ressenti l’héritage de tout un continent lorsqu’il atteignit pour la première fois cette merveille ancestrale en 1858? Cette immense mer intérieure qu’est le Lac Victoria recèle bien des surprises: d’abord terra incognita recensée à 1134 mètres d’altitude, puis devenue source du Nil à l’est vers Jinja, elle dispose également de plusieurs îles méconnues. Si les plus grandes sont groupées du côté Tanzanien, il paraît que les plus jolies se situent ici. L’archipel des Ssese se trouve à plus de trois heures et demi de ferry d’Entebbe, en Ouganda, et c’est là que je me rends aujourd’hui.
Ce dimanche-là, il y a foule. La cabine est bondée.
A l’aller j’ai choisi de voyager en seconde classe, suivant ainsi les conseils de mon guide… Encore une fois j’ai eu tort! Ce dimanche-là, il y a foule. La cabine est bondée. Je partage mon banc avec quatre autres personnes et tout le monde s’entasse où il peut comme il peut. Il s’agit de ne pas avoir à rester debout pendant toute la durée de la traversée. Mais aussi de faire face à l’écran qui diffuse toutes sortes de programmes doublés en Luganda! Anachronisme des sensations. D’abord, je me demande d’où provient le son intempestif de la radio qui m’empêche d’écouter les dialogues du dernier Mad Max diffusé sur la télé du bateau. Je comprends rapidement qu’il ne s’agit que de la voix, unique, du doubleur qui incarne tous les personnages du film à la fois, et par-dessus la bande son originale du film. Une cacophonie locace!
Je sympathise bientôt avec un de mes petits voisins qui, trouvant le temps long, dessine quelques griboullis dans mon carnet de voyage. Je lui apprends alors quelques croquis faciles, puis essaye de lui enseigner la photo, appareil à la main. Ce qui émerveille en général les gamins là-bas, ce n’est pas la taille de l’objectif, ni le rendu de la photo sur l’écran, mais bien la sensation du déclic. Son bruit aussi les fascine vraiment, à tel point qu’une fois qu’ils commencent, il est très difficile de les convaincre de lâcher le bouton de déclenchement et de me rendre l’appareil!
On ne croise pas beaucoup de touristes ici, et c’est ce que je suis venue chercher.
Après une traversée magique, l’arrivée en fin d’après-midi à Kalangala est emplie d’un sentiment de plénitude. L’île est d’une rare beauté, sauvage et exotique. Les petites plages sont bordées de forêts de palmiers et d’acacias, et peuplées d’oiseaux en tous genres. Tout invite à la relaxation totale et je profite du moment présent en pensant avoir atteint un paradis préservé. Je me rends pourtant rapidement compte que notre «monde moderne» a rattrapé l’île de Bugala: exploitation d’huile de palme et déforestation, surpêche et disparition des ressources, pollution variée dont sonore… Il faut fermer à moitié les yeux pour se donner les moyens de profiter du lieu. On ne croise pas beaucoup de touristes ici, et c’est ce que je suis venue chercher. J’espère pouvoir me perdre dans cette contrée éloignée, «Ô temps! suspends ton vol, et vous, heures propices! Suspendez votre cours (…)».
Je me demande si le silence est devenu le vrai luxe de notre société d’aujourd’hui.
J’ai choisi un hébergement haut de gamme, ce sont mes derniers jours en Afrique de l’Est et je compte bien en profiter avant de rentrer à la maison. Malheureusement, mon hôtel est entouré de plusieurs bars nocturnes très bruyants qui se passent le relais chaque soir pour offrir aux Ougandais venus du continent les nuits sans sommeil qu’ils sont venus chercher. La musique couvre tout autre bruit: le vent chatouillant les feuilles des arbres, le babillage des oiseaux s’endormant ou autre bruissement d’insectes… Une réelle frustration. Je me demande si le silence est devenu le vrai luxe de notre société d’aujourd’hui. Heureusement je peux profiter chaque soir sur la plage d’un feu de camp dont les crépitations ont le mérite de couvrir quelque peu les basses avoisinantes assourdissantes.
(…) je suis fascinée par leurs tailles, leurs couleurs, leurs chants: une diversité d’une beauté inouïe!
En journée, des coupures de courant salvatrices rendent enfin l’endroit propice au repos et à la contemplation des becs-en-sabots du Nil, martins-chasseurs du Sénégal, aigrettes blanches ou autres tisserins à tête noire. Je n’aime pas vraiment les oiseaux; j’en ai même une peur certaine la plupart du temps, surtout lorsqu’ils s’approchent trop à mon goût… Pourtant ici je suis fascinée par leurs tailles, leurs couleurs, leurs chants: une diversité d’une beauté inouïe! Je tombe rapidement amoureuse des couples inséparables de calao à joues grises, si loquaces et au son de vol si reconnaissable. Leurs ailes se déploient avec une telle puissance que leur bruit est comparable à des pales d’hélicoptère au décollage! La nature semble en tout cas les avoir doté des atouts nécessaires pour compenser le poids de leur incroyable double bec proéminent. Leurs dialogues emplissent la forêt le jour durant et je les écoute le sourire aux lèvres…
Je passerais volontiers des jours entiers à chercher ces oiseaux si rares et mystérieux, habitants mystiques de l’archipel, jouant à cache-cache dans la végétation luxuriante. A les débusquer à cheval, à pied, en canoë ou en pirogue traditionnelle creusée dans des troncs d’arbre, et à les observer jusqu’à la nuit tombée. Mais il est déjà temps de rentrer à Kampala. Cette fois, je choisis la première classe pour profiter d’un peu plus d’espace et tenter, pourquoi pas, de m’assoupir un peu pendant le trajet après trois nuits sans sommeil.
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*John Hanning Speke : 4 Mai 1827 – 15 Septembre 1864 Officier de l’Armée Indienne Britannique, il est celui qui a découvert la source du Nil et le premier européen à avoir atteint le Lac Victoria qu’il baptisa en honneur à sa Reine.
INFOS PRATIQUES
Il y a deux façons de se rendre aux îles Ssese en Ouganda.
* Pour rejoindre Kalangala depuis Entebbe, départ quotidien à 14h ; pour Kalangala-Entebbe (Nakiwogo), départ quotidien à 8h – comptez 3h30 de traversée.
Prix aller simple en seconde classe = 10.000 shillings ougandais // Prix aller simple en première classe = 14.000 shillings ougandais // Voiture = 50.000 shillings ougandais
La première classe offre plus d’espace aux voyageurs, plus de toilettes seront disponibles et vous aurez également accès à la passerelle supérieure d’où vous profiterez des meilleures vues sur le Lac Victoria.
Depuis Entebbe le billet s’achète avant l’entrée au quai, depuis Kalangala les billets s’achètent à bord. Dans les deux sens il faudra vous soumettre à une fouille ainsi qu’à un contrôle policier où vous devrez fournir vos nom, prénom, nationalité, numéro de passeport et numéro de téléphone en cas d’accident.
* Pour rejoindre l’île de Bugala depuis Masaka (Bukakata), départs à 8h, 11h30, 13h30 et 16h – Retours le même jour de Bugoma à 9h, 12h30, 14h30 et 17h. – comptez environ 1h de traversée. Apparemment gratuit (infos du début de l’année 2017, celles-ci peuvent changer rapidement).
QUE FAIRE AUX ILES SSESE ET LAQUELLE CHOISIR:
Plusieurs îles de l’archipel sont accessibles, Kalangala étant la plus grande. Vous pouvez y profiter de randonnées, location de vélo ou kayak, visite des plantations d’ananas ou d’huile de palme et, bien sûr, de la pêche.
Sur l’île de Ngamba, n’hésitez pas à aller visiter le sanctuaire des chimpanzés. Une excursion certes onéreuse mais dont les bénéfices sont reversés au refuge et dont le souvenir promet d’être impérissable : http://ngambaisland.org
Bulago est l’île de luxe, la plus proche d’Entebbe, mais il faudra réserver votre propre moyen de locomotion pour vous y rendre. http://www.wildplacesafrica.com/our-lodges-camps/pineapple-bay/
Enfin Banda Island, à quelques encablures de Kalangala promet un séjour à la Robinson Crusoé : https://bandaisland.biz
OU DORMIR
J’avais choisi le Brovad Sands Lodge, malheureusement l’endroit est très bruyant et je ne le recommande pas à qui désire un voyage enchanteur. En journée, les travaux d’extension commençaient très tôt pendant mon séjour et les bruits du chantier étaient présents dans toutes les parties de l’hôtel, sauf sur la plage. En soirée, les bars commencent la musique à 20h, jusqu’au petit matin le weekend.
J’ai entendu parler en bien du Ssese Islands Beach Hotel, situé sur une partie plus calme de l’île : à essayer ! http://sseseislandsbeachhotel.com
Bon à savoir : les prix sont toujours négociables en Ouganda, surtout en basse saison. Enfin, si vous désirez passer une nuit à Entebbe dans un cadre magique, choisissez la guest house ViaVia, à 10 minutes en taxi du ferry pour les îles. http://viavia.world/en/africa/entebbe
Pour info, 1€ = 4281,01 shillings ougandais environ