Le Jour où j’ai caressé un géant marin.
Aujourd’hui, j’ai hâte. Et pour une fois, je n’ai aucun problème à me réveiller tôt! De toute façon je ne pourrais pas dormir plus longtemps, bien trop excitée que je suis à l’idée de partir pour cette expérience grandiose. L’étendue de la saison de mise à bas est assez courte et les cétacés ne restent dans la région que deux à trois mois. Nous sommes déjà mi-février, c’est le moment des records habituels de fréquentation de l’espèce, et probablement la meilleure occasion de pouvoir l’observer. Dès le lever du soleil, je me mets donc en route à travers le désert montagneux avoisinant de la Sierra Laguna. Je traverse ces champs de cactus que j’affectionne tant… En plus des emblématiques candélabres forts et puissants, il y a les dodus choyas* dont les épines vous écorcheraient vif malgré leur ressemblance avec de bucoliques pissenlits. J’observe aussi quelques torotes*, des arbres locaux d’apparence tortueuse aux troncs de différentes couleurs. Mais à mesure que la côte pacifique se rapproche, une végétation plus rare et ennuyante remplace mes cactacées bien-aimées. Bientôt, le paysage s’aplanit et les aigles pêcheurs en profitent pour faire leur apparition. Après deux heures de trajet, je rejoins enfin la Baie de Magdalena où se concentrent la plupart des baleines grises de Basse Californie. Le temps d’embarquer sur un bateau local et me voici prête à vivre une rencontre inoubliable.
La baie semble préservée et épargnée par le tourisme de masse que subit Los Cabos (…)
Cette région magnifique et pourtant méconnue du Mexique abrite près d’un tiers des espèces de mammifères marins du monde. A peine à bord, nous croisons déjà la route d’otaries, de dauphins et de tortues… Dans un ciel bleu saturé, des milliers d’oiseaux résidents et migrateurs offrent également un ballet envoûtant. A perte de vue, d’immenses dunes de sables se dressent au-dessus d’estuaires couverts de mangrove. La magie du décor est en train d’opérer. La baie semble préservée et épargnée par le tourisme de masse que subit Los Cabos plus au sud, pourtant je prends rapidement conscience du nombre important de lanchas* qui nous entourent. En cette saison, le petit village de pêcheurs voisin de Puerto Mateos se consacre uniquement à l’observation des baleines mais j’aperçois aussi leurs usines de pêche à la sardine qui les sustente le reste de l’année. De destination incontournable en hiver, l’endroit redevient hors saison une petite bourgade tranquille et authentique.
Il ne nous faudra pas longtemps avant de distinguer au loin nos deux premières gerbes d’eau (…)
Le temps est idéalement au beau fixe et les eaux d’un calme incontestable. Les passagers à bord de notre bateau sont en ébullition et tous les regards tournés vers le large dans l’espoir impatient d’apercevoir nos premiers mysticètes*. Il ne nous faudra pas longtemps avant de distinguer au loin nos deux premières gerbes d’eau, bientôt suivies par deux petites têtes luisantes et argentées sortant de l’eau. Une mère et son bébé sont en train de nager paisiblement, rapidement rejoints par des observateurs en quête de promiscuité. Avec mes compagnons, nous décidons de nous éloigner de la « foule » et de partir à la rencontre de spécimens plus isolés. Il s’agit de profiter égoïstement des baleines, sans être gênés par les quelques américains présents ce jour-là et dont les cris de joie tonitruants auraient fait fuir n’importe quoi, voire n’importe qui!
(…) impossible d’imaginer combien les cétacés semblent se délecter de notre présence.
Après avoir pris nos distances, trouvé l’emplacement isolé idéal, et coupé notre moteur, nous réalisons rapidement que nous sommes en fait littéralement encerclés de baleines grises ! Qu’importe l’endroit où nous nous rendrons, il y en aura bien assez pour tout le monde. La singularité de la baleine grise, c’est sans conteste son extrême curiosité. Et je découvre rapidement cet incroyable trait de sa personnalité : impossible d’imaginer combien les cétacés semblent se délecter de notre présence. Aucune exclamation trop forte ou main trop baladeuse ne semble les faire fuir. Ils nous contournent, nous arrosent, nous saluent de leurs nageoires, nous narguent en passant sous le bateau, s’enroulent et se contorsionnent sous nos yeux pour faire montre de leur souplesse. Ils se prêtent au jeu des photos et frôlent la coque en venant même y chercher quelques caresses: un spectacle incroyable! Jamais je n’aurais pu imaginer un tel contact avec ce mastodonte des mers.
L’animal mesure près de 15 mètres de long à vue d’œil et se démarque par sa tête très blanche par rapport à celle de ses congénères.
Toujours en binômes, les jeunes semblent imiter les moindres faits et gestes de leurs mères; un mimétisme impressionnant qui favorise leurs apprentissages précieux, et souvent décisifs pour la suite de leur existence. Les adultes semblent en outre toujours pousser plus près des touristes leur descendance interdite et réservée, une grande marque de confiance dont chacun à bord se sent honoré. Puis notre guide repère au loin une baleine bien connue des environs et qui revient chaque saison depuis plusieurs années. La fameuse «Olivia» fonce droit sur notre bateau avec sa progéniture, comme si la rencontre était une évidence et que rendez-vous avait été pris. L’animal mesure près de 15 mètres de long à vue d’œil et se démarque par sa tête très blanche par rapport à celle de ses congénères. A ses côtés un petit de quelques semaines mais atteignant déjà 5 à 6 mètres d’envergure, et légèrement plus timide que sa mère! Qu’à cela ne tienne, celle-ci semble vraiment tenir à faire les présentations, quitte à soulever son propre petit hors de l’océan…
Quelle sensation inimaginable quand je tends la main…
Lorsqu’ils sortent tous deux la tête de l’eau à côté de la coque du bateau, il suffit de se pencher légèrement pour les toucher. Si nous hésitons tout d’abord à les caresser pour ne pas les infecter de nos germes, il est difficile de résister tant ils semblent déterminés à savourer notre contact coûte que coûte. Quelle sensation inimaginable quand je tends la main… La tête d’Olivia est en fait recouverte de minuscules crustacés rugueux mais aussi de quelques poils éparses, longs de quelques centimètres, drus et robustes. La peau, en revanche, est d’une douceur extrême, comme si je caressais un ballon de baudruche humide et bombé. Je peux observer de très près ses yeux éloquents et les deux narines qui forment l’évent, qui ne manque d’ailleurs pas de m’éclabousser à intervalle régulier (effluve marine incluse !). Elle s’expose, remue, virevolte malgré ses quelques 30 tonnes, comme pour mieux nous montrer ses fanons et ses nageoires puissantes mais surtout, sa grâce intrinsèque. Le rejeton aussi admire sa mère, mais hésite encore à réaliser les mêmes prouesses.
Une fois sevré, le petit et sa mère se remettront en route vers l’Alaska ou la Sibérie Orientale, parcourant plus de 10.000 kilomètres en trois mois.
A bord, l’émotion est grande, chacun peine à réaliser ce qui est en train de se jouer devant nous. Conscients de la chance que nous avons de pouvoir interagir avec Olivia, nous admirons chacun de ses mouvements et profitons de chaque instant avec euphorie. Combien d’entre nous ont-ils pu un jour vivre une telle rencontre, une telle ivresse avec une espèce malheureusement menacée d’extinction? Attendris, touchés, conquis, certains versent même une petite larme. Notre baleine et son baleineau, eux, en ont maintenant assez et s’éloignent vers d’autres horizons, ou simplement d’autres embarcations. Une fois sevré, le petit et sa mère se remettront en route vers l’Alaska ou la Sibérie Orientale, parcourant plus de 10.000 kilomètres en trois mois. Il faudra aux touristes attendre une année complète avant de pouvoir à nouveau partir à leur rencontre dans les eaux chaudes mexicaines. Quant à moi, je garderai toute ma vie à l’esprit cette rencontre mémorable et la sensation de ma peau sur celle d’Olivia…
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*Torote = de la famille des Burseras, c’est un arbre à écorce fine jaune ou blanche, se desquamant en bandes. Il produit des gommes odorantes riches en oléorésines d’où son nom d’«arbre à térébenthine».
*Choya = Cylindropuntia, originaire du Mexique et du sud-ouest des USA.
*Lancha = nom donné au bateau de tourisme à moteurs.
*Mysticètes = sous-ordre des cétacés caractérisé par la possession de fanons. Le terme mysticète vient du grec ancien « mystax » (lèvre supérieure) qui a donné « moustache ».
La vidéo, c’est ici: you tube
INFOS PRATIQUES
Pour vous rendre à Puerto Lopes Mateos, il vous faudra prendre un vol jusque La Paz ou Los Cabos en Basse Californie. Depuis Paris, aucun vol direct bien sûr: un transit est à prévoir à Mexico City ou Los Angeles. Le petit port se situe ensuite à deux heures de route mais toute la région vaut le coup d’être visitée – Cousteau appelait la mer de Cortez l’aquarium du monde et beaucoup de choses méconnues restent à découvrir depuis Santa Rosalia jusqu’à Todos Santos en passant par Loreto…
La saison commence mi-décembre et se termine généralement au tout début du mois de mars. Si le climat est généralement clément dans la baie protégée, il est toutefois possible que le vent amène la houle et rende la sortie en mer un peu plus difficile.
Les bateaux sur place se trouvent très facilement et les guides sont inclus dans le prix. Les coopératives locales organisent les sorties et pratiquent toutes le même tarif, quelle que soit la lancha choisie. Comptez 2000 pesos mxn pour la location d’un bateau pour 6 à 8 personnes pendant deux heures (pour info 1€ = 22 pesos environ).
Vous pourrez trouver plus d’informations ici: https://www.facebook.com/ultballenas/
OU DORMIR
Je ne vous conseille pas d’hébergement sur place car il s’agit vraiment du bout du monde! En revanche, profitez de votre passage pour déjeuner d’un repas de poisson frais.
Si vous aimez les resorts de luxe tout compris, portez votre choix sur Los Cabos tout au sud de la péninsule: vous aurez l’embarras du choix à tous les prix. Si vous aimez au contraire le calme et l’authenticité, alors jetez plutôt votre dévolu sur La Paz et partez à la rencontre des otaries si vous pratiquez la plongée ou le snorkel! Les hôtels Hyatt et Costa Baja sont très recommandables même s’ils se situent à l’extérieur de la ville. Dans le centre, pensez au Blue Hotel ou à l’hôtel Catedral qui bénéficient des meilleures terrasses de la ville pour profitez du coucher de soleil.
Votre dernière option reste Todos Santos, la ville bohème remplie d’artistes et où vous pourrez également relâcher les bébés tortues à la même saison. La ville ne manque pas de choix d’hébergements de qualité qui sauront vous séduire.
Enfin Choya Tours peut organiser vos excursions et séjours sur place, et certains de leurs guides parlent même français si l’anglais n’est (toujours) pas votre fort!