Le Jour où j’ai croisé Lenine.
Il est encore tôt ce dimanche matin lorsque je quitte ma chaleureuse auberge de jeunesse. Pourtant lorsque j’arrive sur la Place Rouge quelques minutes plus tard, la file est déjà impressionnante. Je ne rebrousse pas chemin car le soleil brille, et il semble tant bien que mal neutraliser ce grand froid d’octobre, potentiellement décourageant. Après tout, c’est ma dernière chance d’effectuer cette visite mythique avant mon départ demain. Une fois arrivée au bureau d’information, je lis donc attentivement les instructions en anglais et remets mes affaires à la consigne. J’y laisse ma chapka et surtout mon appareil photo, interdits à l’intérieur du mausolée. Puis j’avance jusqu’au premier check point; tout est en règle. Autour de moi règne comme un calme circonspect, et la place est inhabituellement vide et silencieuse. Un dernier regard vers le jardin Alexandre puis la foule se met enfin en branle. Il me faut encore longer le mur emblématique de la forteresse du Kremlin pendant quelques temps. Très haut, très rouge, très oppressant. Je me rapproche doucement du grand Vladimir Illich Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, et de ses restes momifiés depuis 1924.
La vision est choquante et je suis immédiatement mal à l’aise.
Avant de pénétrer dans l’enceinte, je passe près d’une dizaine de tombes fleuries – de fleurs rouges elles aussi. J’aperçois les noms d’hautes personnalités de l’URSS tels Gagarine, Brejnev ou bien encore Staline… Puis j’arrive enfin au pied de la Tour Senatskaia et la pyramide sous laquelle se trouve le corps embaumé. Lénine avait pourtant toujours voulu être enterré auprès de sa mère à Saint-Petersbourg, avant qu’une commission bolchévique n’en décide autrement. Mais pas de doute: c’est bien son nom en alphabet cyrillique qui trône au-dessus de l’entrée et de sa porte à double battant imposante… Avant que l’endroit ne disparaisse à jamais, je veux apercevoir cette icône même s’il n’en reste plus qu’une dépouille sacrée. Un à un, nous sommes donc autorisés à rentrer l’admirer. Ce qui interpelle d’abord, c’est la température: à peine 16 degrés, et pas moyen de se réchauffer. L’air semble immédiatement vicié. J’avance comme lors d’une procession le long d’un couloir sombre, qui débouche ensuite sur une volée d’escaliers. Je progresse le plus lentement possible car on m’a répété plusieurs fois que s’arrêter était interdit, tout comme garder les mains dans les poches d’ailleurs. Je n’oserais pas contrarier les gardes… Je parviens enfin à la salle funèbre qui s’apparente à une sorte de cube parfaitement proportionné. En son centre un cercueil, ou plutôt un sarcophage géant en verre pare-balles, posée sur une plate-forme. La vision est choquante et je suis immédiatement mal à l’aise. J’aperçois à l’intérieur le frêle corps de Lénine, beaucoup moins grand que ce que j’imaginais.
Comme si l’image de mon livre d’histoire d’écolière prenait vie devant l’adulte que j’étais devenue.
Le parcours bien rôdé nous fait tourner autour du héros de la Révolution bolchévique et de son surprenant petit mètre soixante-cinq. Son visage est repoussant: il ressemble à une poupée de cire de mauvaise qualité, résultat de plus de quatre-vingt-dix années de traitement d’embaumement. Je reconnais son bouc si singulier, sa calvitie aussi. Comme si l’image de mon livre d’histoire d’écolière prenait vie devant l’adulte que j’étais devenue. Etrange sensation… Lénine porte un costume noir, et avec ses yeux fermés il me fait terriblement penser à un mannequin inanimé, sans expression aucune. Je ne vois pas les salles de contrôle technique sous le mausolée, ni le tunnel secret qui relie le lieu au Kremlin. Les laboratoires où oeuvrent les anatomistes et biochimistes, eux aussi, sont à l’abri des regards. La visite ne dure à peine que quelques minutes pourtant la vision est saisissante. Pauvre bonhomme coincé là entre ces murs noirs démoralisants. Je m’empresse de sortir au plus vite de cette pyramide triste et oppressante, afin de retrouver l’air extérieur où le temps est couvert et la température toujours aussi fraiche…
La place grouille de militaires et de policiers, l’endroit est décidément bien protégé.
A ma grande surprise, je croise un couple de jeunes mariés en train de poser fièrement devant les gardes de l’armée Rouge. En me retournant, je m’aperçois qu’ils sont nombreux à être venus immortaliser la plus belle journée de leur vie et je les observe jouer aux modèles d’un jour devant le mur d’enceinte. De quoi parfaitement se changer les idées après ce dont je viens de témoigner! La place grouille de militaires et de policiers, l’endroit est décidément sous haute sécurité. Sous leur protection, je décide d’explorer les environs une dernière fois. Le long de la rivière Moskova, je m’enfonce un peu plus dans la citadelle du Kremlin. Celle-ci est flanquée de dix-neuf tours, rouges toujours, et abrite les sépultures de quarante-sept tsars au total. Je marche ici sur les traces d’Ivan Le Terrible, ou même de Napoléon 1er… J’y retrouve l’architecture soviétique moderne typiquement froide mélangée à des curiosités plus anciennes, d’aspect renaissance vénitienne. La multitude de coupoles dorées me fascine, tout comme les riches icônes religieuses qui ornent l’intérieur des bâtiments saints. Immense, le clocher d’Ivan le Grand achève de parfaire l’ambiance faste de l’endroit.
La construction trapézoïdale inaugurée en 1893 est à l’époque le plus grand centre commercial du monde.
Ces richesses, je les retrouve juste en face dans les galeries marchandes GUM, autre monument mythique de la Place Rouge. Ici, les clients fortunés se retrouvent volontiers pour se fournir en produits de luxe avant de sortir au Bolshoï. La construction trapézoïdale inaugurée en 1893 est à l’époque le plus grand centre commercial du monde. Le marbre, le grès, le granit et les verrières rendent l’endroit de toute beauté. C’est dans un café de ce lieu immense que je décide de passer quelques instants. Enfin je peux m’y réchauffer avant de repartir sur la vaste esplanade moscovite ouverte au vent depuis l’incendie de 1943. Symbole de l’architecture traditionnelle russe, je visite à nouveau la magnifique Cathédrale de Saint-Basile-le-Bienheureux. Composée de huit églises séparées à l’intérieur, je tombe littéralement amoureuse de leurs clochers à bulbe, véritables chefs-d’œuvre à mes yeux! Leurs décorations, leurs peintures, leurs couleurs, leurs formes, tout m’évoque étrangement la maison de sucre du conte d’Hansel et Gretel telle que je l’imaginais petite. J’en mangerais presque et ce spectacle me ramène à une enfance douillette et réconfortante… Mais le froid me transperce à présent et il est temps de me remettre en route vers le métro, véritable palais souterrain et dernière découverte architecturale spectaculaire de la ville.
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INFOS PRATIQUES
Pour tout séjour en Russie, il vous faudra un visa touriste. Et en ce qui me concerne, ce fut l’un des plus pénibles à obtenir tant le dossier est conséquent et la vérification des pièces approfondie! Il vous faudra montrer patte blanche et fournir un voucher d’invitation de la part de votre hôtel aux dates exactes sur place, ainsi (entre autres) qu’une attention d’assurance valide au moment du départ. Comptez 10 jours ouvrés de délai normal, et 3 s’il est demandé en urgence. Rendez-vous directement sur le site de l’Ambassade de Russie pour avoir accès au dossier à constituer pour la demande.
Le mausolée de Lénine se visite tous les jours de 10h à 13h, sauf les lundis et vendredis. L’accès est totalement gratuit mais la file d’attente peut-être longue: arrivez donc le plus tôt possible. Appareils photo et vidéo bien sûr interdits!
Ne manquez pas les fameux bains russes, ou banias, et notamment ceux historiques de Sanduny à Moscou. Là-bas on alterne vapeur humide chaude dans une étuve où la température peut s’élever jusqu’à 100°C, avec une douche froide. Plutôt, on se jette au sortir dans un bac d’eau glacée à proximité! Vous répétez plusieurs fois l’opération, tout en vous munissant de branches de bouleaux avec lesquelles vous vous fouettez également vigoureusement le corps. Cela permettrait de nettoyer et d’assouplir la peau, d’activer la sudation et la circulation du sang. Une réelle tradition que se termine très souvent autour d’un verre.
OU DORMIR
Nous avions choisis de dormir au Day N Night Hostel (http://daynnight-hostel.moscowhotels24.com/en/), une option économique assez proche du centre ville. Bien desservi par les transports en commun et à proximité de nombreuses option de restauration, nous avons été très heureux de notre séjour. Vous y trouverez des voyageurs étrangers mais aussi beaucoup de russes de passage dans la capitale. Grâce à eux vous passerez sûrement des soirées très réussies autour de shots de vodka et de salami, une tradition là-bas! Attention, les photos publiées sur leur site internet ne leur font pas vraiment honneur…